Yere Sorôkô
Africultures
Ce sont des images de femmes en marche qui passent au ralenti. Ces images plus ou moins floues de femmes ordinaires dans une rue d’Abidjan ouvrent ce documentaire pas comme les autres, Yere Sorôkô, en quête d’une vie meilleure d’Anne-Laure de Franssu (France, 2007). Mais où vont-elles, ces femmes, d’un pas si décidé ? Peut-être à la recherche d’elles-mêmes, en quête de moyens de survie mais aussi de bonheur. Vers la fin du film, un homme parle de sa ville, on le voit en compagnie de sa mère à Odienné, au nord de la Côte d’Ivoire. Il raconte en quelques mots la dureté de l’exil en France et dit combien il aime revenir dans cette ville de plus en plus déserte, cette ville et ce pays qui, malgré tout, ne le quittent pas. Entre ces deux séquences se tient la trame du documentaire qui met en scène les multiples facettes de la quête de soi et les retrouvailles avec l’autre au moment où celui-ci (celle-ci, nommée Mariam) peut manquer à l’appel et intensifier la quête. C’est une expression propre à l’univers de celles et ceux qui parlent dans ce film qui lui donne son titre qui signifie, littéralement : l’expérience fondamentale de se chercher soi-même en espérant pouvoir se retrouver. Ce film n’est donc pas un reportage sur une Côte d’Ivoire en crise comme on pourrait le penser. Il n’est pas non plus un documentaire sur la vie quotidienne des gens du sud au nord du pays. Il est jalonné de séquences très fortes qui nous amènent à le lire à plusieurs niveaux. L’image du temps et de l’attente s’impose en premier lieu, comme dans cette séquence tournée au Foyer des jeunes travailleuses de Cocody devenu pratiquement vide, où une femme s’occupant de l’administration parle du départ des filles qu’Anne-Laure de Franssu connaît pour avoir réalisé un film sur leur vie à cet endroit (1). Le visage de cette femme, désoeuvrée ou presque, dit bien le temps qui passe, s’allonge, n’en finit pas de passer pendant qu’elle est assise près d’un téléphone d’un autre âge. À Bouaké, pendant que la vie se retire des grandes artères de la ville, dans une cour commune, un homme parle, entouré de femmes et d’enfants, il donne son point de vue sur la crise que traverse le pays. Il s’inquiète des nouvelles lois du vivre ensemble et constate les mutations intervenues dans la mentalité des gens ordinaires. Et puis la voix off, celle de la réalisatrice elle-même, qui tient son carnet de route et mentionne, à chaque étape, le temps et l’attente… La recherche de l’amie disparue depuis le début des « évènements » sert de fil d’Ariane au documentaire, de prétexte à cette traversée du pays du Sud au Nord. Le paysage est filmé (vert et faussement idyllique), la route aussi (déserte ou presque) et quelques étapes essentielles, les villes de l’itinéraire. Ce fil est rompu de temps à autre par des séquences à la recherche d’autres personnages féminins ayant quitté la Côte d’Ivoire pour Paris ou pour Londres. Mais la quête de soi est omniprésente. Est-ce un hasard si le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire est évoqué plus d’une fois ? La voix off dit bien de quoi il s’agit. La recherche d’autres personnages féminins rencontrés auparavant, au moment où le pays connaissait une relative stabilité, est partie intégrante de l’univers de la réalisatrice. Elle essaie d’écrire et de comprendre sa propre histoire liée à celle d’un pays qu’elle a connu dès les premiers jours de sa vie ; ce pays qui forme une partie de ses souvenirs. « Là-bas, j’ai passé mon enfance et longtemps j’aurais aimé dire : « je suis une Ivoirienne, pourtant je suis une blanche. » dit-elle. Le retour chez soi peut être mouvementé, jalonné de violences inouïes, apparemment banales et quotidiennes. Une des scènes symboliquement très forte est celle qui se passe à l’abattoir de Bouaké où le boeuf est une bête née pour être abattue par des humains employés à cet effet. La vulnérabilité de la bête n’est peut-être pas comparable à celle de l’humain. Voire… Le montage des images et les effets sonores intensifient ce sentiment d’insécurité que peut ressentir le spectateur même pendant des moments où passent des images de toute beauté. L’humain est sans doute invité, à chaque étape de sa vie, à affronter et à exorciser ses démons intérieurs. Le cinéma est un art qui participe de ce regard cathartique, afin que chacun puisse avoir une image plus sereine de demain. Car la quête identitaire n’est jamais un long fleuve tranquille. Yere Sorôkô, film sur l’exil et la quête de soi, préfigure déjà cet autre documentaire que la réalisatrice a en projet, sur la difficile traversée des frontières, sur la vie entre ici et là-bas, sur les multiples facettes de l’exil chez soi et ailleurs, en prenant en compte des événements récents, fortement médiatisés. Tanella Boni
Africultures
Lussas 2008 : retrouver l’esprit d’enfance – Autre enfant du pays, Anne-Laure de Franssu, revient aussi en Côte d’Ivoire à la recherche de ses traces d’enfance. Ici, c’est le pays divisé qui fait écho à son identité: « Je suis Ivoirienne, pourtant je suis une Blanche ». En guise de fil narratif, elle retrouve des femmes de son âge qu’elle avait filmées dans un foyer de jeunes travailleuses. Tanella Boni a évoqué en nos colonnes (article n°7411) les différents niveaux de voix, d’approche et d’écoute : le carnet de notes, le commentaire, les femmes retrouvées, les hommes qui parlent de la situation du pays. Montage complexe de données personnelles, Yere Sorôkô, en quête d’une vie meilleure n’est pas plus que le précédent un reportage : la réalité du pays est à la fois une dramatique toile de fond et la chambre d’amplification d’une quête individuelle que l’on reconnaît chez les autres. Olivier Barlet
Les Inrocks
La réalisatrice qui a grandi en Afrique, fait le tour de ses amies, principalement en Côte d’ivoire mais aussi à Paris et à Londres. Ce documentaire infiniment personnel fonctionne sur le mode du coq à l’âne, de l’association d’idées. Sillonnant la Côte d’Ivoire où les braises de la guerre civile de 2002_2004 ne sont pas complètement éteintes, la cinéaste s’exprime en voix-off, s’adressant à des amies absentes, jouant avec les sons, mêlant passé et présent, vie parisienne et épopée africaine. Une des rares œuvres où l’on entend la parole des femmes africaines confrontées à l’aventure de l’immigration. Tout cela est mis en regard avec le retour aux sources de la cinéaste dans un continent qui est pour elle synonyme de l’enfance. Par V.O.
Télérama
« Où se situe la frontière entre ceux qui seraient ivoiriens et ceux qui ne le seraient pas ? » Question sybilline et non moins primordiale par laquelle Anne-Laure de Franssu ouvre son dernier documentaire, tourné comme les précédents dans cette Afrique de l’Ouest à laquelle la lient son acte de naissance et une parte de son enfance. « Blanche de peau mais nègre de sentiments », elle est partie cette fois retrouver quatre femmes, qu’elle avait rencontré en 1999 dans un foyer de jeunes travailleuses d’Abidjan pour son film Sini Makônô en attendant demain. Quatre ivoirienne venues travailler en Europe ou restées au pays : Claudette (la londonienne mariée à un pasteur), Kady (la parisienne qui n’aura pas pu dire adieu à sa mère), Léocadie (qui vit à Abidjan, où elle est secrétaire) et l’insaisissable Marianne, quasi double d’Anne-Laure, dont la vaine recherche amène la réalisatrice à questionner plus avant sa propre identité problématique de fille d’expatriés. L’équilibre ménagé dans le film entre l’exploration de soi et la découverte de l’autre n’est pas la moindre qualité de cette promenade joliment filmée, le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire sous le bras. Retrouvailles avec un monde perdu, transformé par le temps et la guerre, qui est aussi un territoire intime, une partie d’elle-même. François Ekchajzer
BLACKMAP.com, le portail des cultures noires
C’est au cours d’un voyage à travers une Côte d’Ivoire en crise qu’Anne-Laure va tenter de redéfinirles limites de son identité. Le prétexte de cette quête : la recherche d’un groupe d’amies ivoiriennes rencontré quelques années plus tôt, lors d’un précédent voyage en Côte d’Ivoire. (…) Un documentaire qui crie l’amour d’Anne-Laure de Franssu pour la Côte d’Ivoire et dit la difficulté d’y être « Peau Blanche, masque noir ».
Notre avis : Sur un ton poétique empreint de nostalgie, la réalisatrice évoque à la fois son retour aux racines de son enfance en Côte d’Ivoire et les tensions du pays qui ont poussé certains à s’exiler. Une ode à la fraternité universelle face à un pays en crise où les notions de frontière, de couleur et de nationalisme n’en sont que plus absurdes à travers ce témoignage émouvant.
A voir absolument !
GRIOO.com
Dans Yere Sorôkô, la réalisatrice Anne Laure de Franssu, née en Côte d’Ivoire, repart à la recherche de plusieurs femmes qu’elle a rencontré lors d’un premier séjour en Côte d’Ivoire. Celles-ci confient leur situation sur fond de crise en Côte d’Ivoire… Anne Laure de Franssu est née et a passé son enfance en Côte d’Ivoire où ses parents se sont installés en 1970 après avoir vécu au Gabon, au Sénégal, au Cameroun… On est en plein dans la Côte d’Ivoire de Felix Houphouët-Boigny, et le pays est le phare de l’Afrique de l’Ouest. De retour en Côte d’Ivoire bien plus tard en 1998, pour la première fois depuis bien longtemps, Anne Laure de Franssu rencontre quatre jeunes femmes qui vivent dans un foyer de jeunes travailleuses, portant avec elles des rêves et des aspirations. De cette rencontre sort un 1er documentaire « Sinimakônô, en attendant demain ». Dans [« Yere Sorôkô »], (qui signifie « à la recherche d’une vie meilleure en Dioula »), la réalisatrice repart en Côte d’Ivoire où elle retrouvera Leocadie. Kady s’est installée à Paris, tandis que Claudette est partie à Londres. Le contexte a changé depuis 1998 puisque la Côte d’Ivoire connaît une crise politique qui dure. Mariame qui est la quatrième jeune femme rencontrée en 98, est évoquée dans le documentaire, mais sans que la réalisatrice arrive à la retrouver. Au moment de quitter le foyer, Léocadie a passé des concours et travaille aujourd’hui comme secrétaire pour une mission européenne. Cela a été une étape importante pour elle, lui apportant un meilleur salaire et la possibilité de se loger. En Côte d’Ivoire comme en Europe, ces femmes témoignent du goût amer d’une vie quotidienne difficile, une situation commune à de nombreuses jeunes femmes dans les pays africains. Pourtant, elles espèrent pouvoir revenir en Côte d’Ivoire. Elle observe désabusée, la dégradation de la situation en Côte d’Ivoire : »Y en a qui viennent allumer le feu dans le pays, ils s’assoient dans les bureaux climatisés, ils arment les opposants et après ils viennent jouer aux pompiers… Ils disent que nous sommes xénophobes, mais personne n’est xénophobe en Côte d’Ivoire…C’est une affaire de politiciens et eux ne pensent qu’à leur ventre… Mais nous, on ne veut plus de coup d’état, on ne veut plus ne pas toucher nos salaires. »
Clap noir
Roman familial, exil, quête de soi en Afrique, c’est aussi ce qui meut la française Anne-Laure de Franssu, née en Côte d’Ivoire, dans « Yere Soroko », en quête d’une vie meilleure. Là encore, une voix off très personnelle nous emmène en voyage entre France, Côte d’Ivoire et Angleterre, où la réalisatrice recherche la trace de quelques amies ivoiriennes déjà filmées quelques années auparavant. Interrogations sur le devenir d’un pays déchiré, question de la place des Blancs en Côte d’Ivoire (l’une des personnes interviewées explique clairement que les Blancs ne sont plus les bienvenus), retour sur l’enfance (là encore, on retrouve le grain magique des vieilles images en super 8 ou des photos des années soixante dix), psychanalyse filmée : le film tisse ces différentes trames, cherchant parfois son véritable fil rouge. Il y a aussi de belles choses dans ce film et une Afrique dépeinte avec un vrai amour, même malmené. C’est comme si intimité et politique se rejoignaient dans le cinéma de cette génération de cinéastes. Ce n’est pas le militantisme politique ou la colère qui a fait de ces femmes et de ces hommes des cinéastes, comme la génération précédente. Qu’elles soient sénégalaise en exil comme Khady Sylla, « sénégauloise » (c’est dire dire française de parents africains) comme Alice Diop ou Katy Lena Ndiaye, comme le métis franco-ivoirien Philippe Lacôte ou encore d’une autre manière Sylvaine Dampierre (d’origine guadeloupéenne mais ayant vécu en métropole), française ayant un vécu en Afrique comme Anne-Laure De Franssu, il semble que ces artistes se sont emparées de la caméra pour une quête, venue de la distance et de l’exil. Leurs films sont bouleversants car ils portent en eux leur questionnement personnel et c’est comme si seul, un film pouvait aider à esquisser une réponse, à jeter un pont, à établir un dialogue. Caroline Pochon
